Petit essai sur l’Humiliation : le cas Laurent Gbagbo
La crise ivoirienne postélectorale a été, jusqu’aux ultimes moments du dénouement de la tragédie de Laurent Gbagbo, l’occasion d’entendre bien des cris d’orfraie de très respectables présidents de nations développées mais aussi de moins respectables présidents de nations sous-développées. De concert, on criait très fort pour que quelqu’un entende ces mots : « sortie honorable », « se retirer dans la dignité ». Pendant quatre mois on a crié ainsi à un président autiste ces termes ; non pas, et par subtilité diplomatique, pour que Laurent Gbagbo comprenne leur sens immédiat, mais pour qu’il saisisse plutôt leur antonyme : l’Humiliation. Cette fraternité de corps n’a pas été comprise jusqu’aux ultimes instants, quand il ne restait à Laurent Gbagbo pour seul territoire à gouverner que son bunker et pour seul peuple véritable que sa maisonnée et son armée folklorique. Et puis un matin est arrivé l’Humiliation. Elle avait le visage d’un seul homme, Laurent Gbagbo.
L’humiliation se définit comme une blessure à l'amour-propre, plus particulièrement une entorse à l'image que l'on veut donner de soi-même. Elle nous est infligée par un autre ou par nous-mêmes. Elle est habituellement accompagnée par un sentiment de honte mais elle n’est pas elle-même une émotion. Elle déclenche souvent la colère, la révolte ou le remords.
Le construit humiliant embrasse autant la sphère affective réduite qu’un espace plus large des interactions de l’homme au monde car, très souvent, ce construit nécessite la présence d'un public. Plus ce public nous est acquis et proche, et plus grande sera notre humiliation. Par ailleurs, sous un autre angle, plus nous objectivons l’adversaire ou l’ennemi, notre humiliation n’en sera que plus profonde si nous sommes vaincus. Enfin, moins nous avons de respect pour l’adversaire - « c’est maïs ! » par exemple- plus aiguë est l’humiliation à notre chute. Dans le cas Laurent Gbagbo, vraiment très intéressant, se retrouvent ces trois situations. Ceux devant lesquels Gbagbo a été capturé et donc humilié sont d’abord ceux du cadre affectif privé : sa large famille avec présence d’enfants et de petits enfants pour lesquels Laurent Gbagbo était la figure du brave comme seule l’enfance sait en créer. Certains dictateurs ont été pris mais pas devant leurs proches, c’était probablement, de ce fait, moins humiliant que le cas Gbagbo. Ensuite vient l’image humiliante, pour Gbagbo, du regard de son parti, la LMP, qui découvre la couardise de son chef : « Ne me tuez pas ! » a-t-il lancé lors de sa reddition. Il aurait pu se taire tout simplement. Cette auto-humiliation de Gbagbo, par processus d’identification naturel au chef qu’il est, devient collective pour toute la gente LMP. Puis d’une intensité moins grande, l’humiliation de Laurent Gbagbo devant ses adversaires politiques qu’il a eu la maladresse d’objectiver comme la source de tous ses malheurs. Ainsi, après « avoir raccroché » au nez d’Obama, diabolisé Sarkozy, pourfendu l’ONU etc., se faire capturer comme un rat et ne plus devoir sa survie qu’à la magnanimité de ses adversaires politiques, ceux qu’on n’avait pas respectés, qu’on avait traités de « maïs » est d’un burlesque affligeant pour Gbagbo. Même les organisations des droits de l’homme restent muettes devant le sort de ce dictateur à cause de ses prétentions antérieures et de son autisme.
L’humiliation provoque un sentiment de honte donc parce qu’elle est riche d’ironie. Etre humilié est le signe que nous ne sommes pas à la hauteur de la situation. Pour Laurent Gbagbo qui prétendait être « l’homme de la situation », nous sommes bien à l’antithèse du dit. La facilité avec laquelle il a été humilié par Alassane Ouattara et son équipe lui donne plutôt l’image d’un homme cocasse et pitoyable.
L’humiliation de Laurent s’inscrit aussi dans un triptyque : Une humiliation politique, une humiliation militaire, une humiliation divine.
Dans le premier ordre, l’ordre politique, Laurent Gbagbo disait dans l’entre-deux tours des élections présidentielles : « Je suis prêt intellectuellement. » Mais le peuple n’a pas cru en l’écran de fumée de ses promesses électorales. D’ailleurs la logique de sa campagne électorale ne pouvait prêcher que des convertis. Sa déconvenue diplomatique qui s’est achevée par son lâchage par ses derniers alliés l’Angola et l’Afrique du Sud conclut plutôt de son incapacité intellectuelle.
Dans le second ordre, l’ordre militaire, Gbagbo affirmait encore : «Je suis prêt physiquement », « la crise ivoirienne va déstabiliser toute la sous région si on n’y prend garde ». Il faisait confiance en ses chars, ses MB21, son armée LMP, et en ses mercenaires. Sur son piédestal, il regardait de haut, les FAFN. Pourtant en moins d’une semaine, les FAFN étaient à Abidjan, le Woody encerclé et contraint plus que jamais à une résistance messianique sans issue.
Dans le dernier ordre, l’ordre transcendantal ou divin, « l’éternel des armées » fut son dernier refrain dans une croisade plus que douteuse pour changer le cours des événements. Entouré de pasteurs illuminés qui arrosaient d’eau bénite les rameaux au bout des kalachnikovs de ses soldats, Gbagbo attendit en vain un miracle. Il avait oublié l’infidélité divine, Dieu n’est redevable à personne !
J’ai déjà vu des condamnés à mort aller résolument à la chaise électrique, à la corde, etc., sans émotion, dignes jusqu’au bout. Par contre à regarder les images de l’arrestation du couple Gbagbo, ils voulaient inspirer la pitié pour attirer la compassion du président. C’était ce même Gbagbo qui avait dit : « Ouattara marchera sur mon corps, pour accéder à la présidence. » Etonnant ! Pourtant, Gbabgo le sait très bien, chez le Bété, le garçon ne se tient pas la tête ou le menton, c’est un signe, face aux malheurs, d’abandon de son statut de battant, de mal dominant. Nietzsche jugeait le sentiment de pitié avilissant, puisque quiconque adopte cette morale dans son entièreté aura tendance à s’y complaire parce que fonctionnant en envisageant la réciprocité qui est de se retrouver un jour aussi en situation de faiblesse. Plus on est optimiste moins on a pitié, plus on est pour la volonté de puissance chez tout le monde moins on a pitié, selon Nietzsche. C’est dans le même ordre d’idée qu’Yvette Naubert affirmait ceci : « Rien n'est plus humiliant parfois que la pitié exprimée. »
Enfin, il y a les cocasseries de Gbagbo rapportées du Golf. Ainsi il aurait demandé, une fois débarqué au Golf à retourner à la résidence présidentielle pour s’habiller. On lui dit qu’il y avait des chemises à disposition ; on lui tendit la chemise verte devenue fameuse depuis. Pour le dîner, il aurait dit : « Je veux manger poulet braisé ! » Lorsqu’on vient de perdre le pouvoir, on devrait normalement en perdre l’appétit, je pense. Le dernier fait du manque de dignité chez Gbagbo se serait produit lors de son embarquement pour Korhogo. « Je veux parler au président » aurait demandé Gbagbo alors qu’on l’amenait vers l’hélicoptère pour Korhogo. Réponse : « le président est en réunion. » Mais Gbagbo insiste et on lui répond: « le président ne peux pas te recevoir, il est en réunion. » Gbagbo aurait alors geint comme un enfant auquel on aurait retiré de la bouche sa sucette préférée, avant qu’on l’embarque Manu militari. Désormais Laurent Gbagbo se retrouve en résidence surveillée avec surement à sa portée des objets qu’ils pourraient utiliser facilement pour se suicider. Mais il ne le fera pas !
La résidence surveillée en elle-même s’inscrit dans l'humiliation subie alors que nous sommes en situations d'impuissance. Ce n'est pas la honte qui prédomine alors, mais la colère ou la révolte, généralement retenues ou dissimulées à cause des risques qu'entraînerait une réaction ouverte. Cette inhibition volontaire contribue à rendre l'expérience encore plus humiliante en faisant de nous les complices silencieux de l'expérience révoltante et dégradante. Accepter la résidence surveillée est une autre forme de lâcheté, une autre forme de « ne me tuez pas, mais humiliez moi, je préfère ça !» Dans une situation de résidence surveillée, une question tourne en boucle dans la tête des esprits malicieux ! Comment dorénavant, l’ex président va-t-il satisfaire libido satiendi (violent appétit de jouissance charnelle)? Lui qui aimait tant les femmes. D’humiliantes perceptives en vue.
En somme, l’humiliante capture de Laurent Gbagbo s’inscrit parfaitement dans une tragédie dont elle est à la fois le point d’orgue et le dénouement. Le professeur Sidibé Valy présentait justement pour cela l’humiliation comme une des résultantes de la tragédie. Laurent Gbagbo aurait dû choisir de se retirer du pouvoir en acceptant les résultats du vote, cela aurait été soit une honte mais une petite honte !
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