Grande-Bretagne : "Kate Middleton devrait adopter un profil bas"
Fred 78 : Les Britanniques sont-ils majoritairement pour la monarchie et si oui, pourquoi ?
Marc Roche : Les Britanniques, à la veille du mariage, plébiscitent la monarchie, pour une raison bien simple : en ces temps d'austérité, la royauté demeure un pivot, une sorte d'ancre, face à la tourmente.
Ensuite, en présence de forces centrifuges à la fois régionales et ethniques, la monarchie reste le symbole de l'unité nationale. En ces temps de guerre (Libye, Afghanistan...), la reine, chef des armées, est l'incarnation du savoir-faire du Royaume-Uni sur le plan militaire.
Dernier point : malgré un côté désuet, conventionnel et fier de l'être, Elizabeth II est unanimement saluée pour les sacrifices consentis à l'exercice de sa lourde tâche. C'est pourquoi le mouvement républicain reste très minoritaire.
Bleuen : Existe-t-il néanmoins un mouvement républicain influent au Royaume-Uni ?
Lors de l'annus horribilis du début des années 1990 – divorce, incendie de Windsor, mort de Diana... –, le mouvement républicain est monté dans les sondages, arrivant à son niveau le plus élevé lors de la fameuse première semaine de septembre, la mort et l'enterrement de Diana.
Mais certains Britanniques n'ont pas aimé les scènes d'hystérie lors de cette semaine-là. Les supporteurs de Diana se recrutaient essentiellement dans les minorités ethniques, sexuelles, et chez les femmes de la classe populaire.
Le pays profond, hors Londres et hors ces groupes, a défendu la monarchie et on a assisté, toutes autres choses étant égales, un peu à ce qui s'est passée en mai 1968 : la révolution étudiante et la contre-révolution conservatrice. Le mouvement républicain aujourd'hui est peu actif, il se limite à certaines classes intellectuelles londoniennes.
Mais il y a une mouvance républicaine que j'appellerais "passive", ce sont les musulmans, et une partie de la communauté antillaise, qui ne se reconnaissent pas dans cette institution, blanche, aristocratique et protestante.
Antoine Doinel : Quelle incidence le mariage de William peut-il avoir sur le régime anglais ?
Le mariage de William et Katherine n'aura aucune incidence sur la succession. Pour parler familièrement, on saute tout chez les Windsor, sauf les générations... Charles succédera à la reine à sa mort, et William succédera à son père quand ce dernier décédera.
Noa : Savez-vous combien va coûter le mariage princier ? Peut-on faire une comparaison avec d'autres mariages princiers en Europe de ce point de vue ?
Eloïse : Bonjour, d'où vient l'argent du mariage ? En période de restrictions budgétaires, comment les Anglais réagissent-ils à des dépenses aussi importantes ?
L'argent du mariage n'est pas sujet à controverse. Tout d'abord, il s'agit d'une cérémonie qui n'est ni d'Etat ni privée, elle se situe entre les deux. Résultat : le coût du mariage proprement dit – réception, bouquets, robe, transport... – est assuré par la reine, le prince de Galles et les Middleton, sur leur propre cagnotte.
La participation de l'Etat se limite au déploiement des soldats, des policiers et d'une partie du transport en carrosse.
Ainsi que des avions qui survoleront Buckingham Palace. La Mairie de Londres s'occupe, elle, du nettoyage, tandis que les médias doivent intégralement payer le coût de leurs opérations ce jour-là.
Le coût est donc très limité, comme le souhaitait le gouvernement en cette période d'austérité.
Doudidouda : L'ampleur des préparations pour le mariage n'agacent-ils pas tout de même un peu les Britanniques ?
A chaque grand mariage princier, on assiste à une explosion de produits dérivés d'un goût variable, de drapeaux, de calicots, etc.
Les Britanniques aiment cela dans la mesure où c'est un pays à la fois patriote et festif.
Cela dit, en raison du choix de la date, entre deux ponts en avril et en mai, certains prennent trois semaines de vacances. Donc on assiste à la fois à un exode d'une partie de la population autochtone et à un afflux de touristes qui doit limiter les pressions sur les transports en commun. Mais dans la grisaille actuelle, le mariage princier est plutôt bienvenu.
Elise : Est-ce que les monarques ont encore un réel pouvoir dans quelque domaine en Grande-Bretagne ?
La seule prérogative royale qui demeure : la reine règne sur les cygnes, les esturgeons et les baleines. En théorie, c'est tout. Si le Parlement devait la condamner à la guillotine, elle serait forcée de signer sa propre condamnation à mort.
Cela dit, dans les faits, la monarchie, qui ne joue aucun rôle politique, a une influence sur la vie du Royaume dans les domaines suivants.
La reine, les princes et consorts jouent un grand rôle dans les institutions caritatives, qui sont très importantes outre-Manche, et aident à récolter des fonds.
Autre domaine important : la religion, puisque la reine est le chef de l'Eglise anglicane, qui est religion d'Etat.
Elle a son mot à dire dans la nomination de certains prélats.
Charles : Quelle influence la monarchie anglaise joue-t-elle sur les pays du Commonwealth ?
La reine Elizabeth II reste le chef d'Etat de quinze pays du Commonwealth, et non des moindres : Australie, Canada, Nouvelle-Zélande... Par ailleurs, l'éclat du Commonwealth demeure, comme le montre l'adhésion de deux pays non-anglophones, le Mozambique et le Rwanda, qui n'ont jamais été des colonies britanniques.
La reine est le leader de cette association et joue un rôle important quand il s'agit de défendre les intérêts du Commonwealth face aux deux vrais ancrages de la diplomatie britannique, l'Union européenne et les Etats-Unis.
Le rôle de la monarchie comme symbole du Commonwealth risque de diminuer avec les successeurs d'Elizabeth II qui ont peu ou prou connu la grandeur de l'Empire.
Manon : Ce mariage aura-t-il un impact politique important dans les relations internationales ?
La réponse est non, puisqu'il ne s'agit pas d'une affaire d'Etat, mais d'un événement à mi-chemin entre affaire d'Etat et cérémonie privée.
Catherine Middleton n'aura aucun rôle politique si ce n'est un rôle de représentation à l'étranger au côté de son mari. A la différence de Diana, Catherine Middleton n'a jamais cherché à éclipser son époux, elle est là comme soutien.
André Rion : Y a-t-il un risque réel que des manifestations perturbent les festivités ?
Le risque est réel vu la situation économique chaotique du Royaume-Uni. Il existe une mouvance anarchiste renforcée par le mouvement étudiant hostile à l'augmentation des droits d'entrée dans les universités, qui a promis de perturber le mariage princier.
Fortement critiquée lors des manifestations du G20 et celles contre les droits d'inscription, la police ne sait pas très bien à quel saint se vouer, alternant entre excès de fermeté et laxisme.
La situation à ce propos peut s'avérer dangereuse.
Sara : On parle beaucoup du coût de ce mariage. Mais est-il vrai qu'il pourrait rapporter 700 millions d'euros ?
Florent : Est-ce que la monarchie gagne un pourcentage sur les produits dérivés, du genre souvenirs ? Cela sert-il a financer le mariage ?
La monarchie a le droit d'image sur la fabrication des objets, et donc perçoit un pourcentage de leur prix de vente.
Le produit est intégré au budget général de fonctionnement de Buckingham Palace. Un mariage royal rapporte plus qu'il ne coûte en raison des retombées touristiques, mais avec une limitation dans ce cas-ci : l'effet des deux à trois semaines de congés que prennent beaucoup de Britanniques.
Mathieu : La popularité de la monarchie ne peut-elle être considérée comme une forme de patriotisme ? Et la "peopolisation" étant chose courante en Angleterre notamment à travers un nombre incalculable de tabloïds, ce patriotisme n'est-il que de surface ?
Les Anglais sont très patriotes, et l'ont toujours été. La monarchie, symbole de l'ancienne grandeur de l'Empire, des deux guerres mondiales victorieuses et d'une décolonisation certes bâclée mais qui s'est faite tout naturellement, est associée à la volupté d'être britannique, qui prévaut toujours.
Les Windsor ont tiré les leçons de la "peoplisation" de l'ère Diana, ils sont devenus plus couleur muraille. Les tabloïds sont moins intéressés dans les Windsor pour une raison essentielle : ils font moins vendre que les stars du foot ou de la télévision.
Elodie : Et par rapport aux classes sociales dans la société britannique, la noblesse est-elle une classe à part entière ? Comment cela est-il perçu par l'ensemble de la société ? N'y a-t-il pas des critiques par rapport au caractère un peu inégalitaire de ce fonctionnement ?
A l'inverse de la France et de l'ensemble du continent européen, le Royaume-Uni n'a jamais connu de révolution anti-aristocratique et n'a jamais été occupé militairement depuis 1066.
La noblesse y a gardé tous ses attributs. Son pouvoir est essentiellement foncier – les plus beaux quartiers de Londres appartiennent à trois ducs – et mondain. Etrangement, vivant en marge de la société, essentiellement à la campagne, l'aristocratie britannique provoque de l'indifférence teintée d'amusement.
Elle n'a aucun pouvoir politique, comme le montre l'interdiction en 2005 de la chasse à courre, qu'elle avait défendue bec et ongles.
Cherry : Les membres de la famille royale se distinguent par leur caractère assez réactionnaire et peu ouvert à la diversité culturelle. Cette attitude est-elle partagée par la société britannique ?
Il est très clair qu'en général la famille royale symbolise l'Angleterre du passé. Compassée, attachée au maintien du système de classes, blanche, protestante et, disons-le, conservatrice, voire réactionnaire. C'est certainement le cas de la reine et de son conjoint le duc d'Edimburg.
Ce l'est moins du prince Charles, réputé pour son combat courageux en faveur de la diversité. C'est lui qui a ouvert la Garde royale aux Noirs, et qui veut changer le système institutionnel en mettant sur le même pied toutes les grandes religions. Il est aussi très ouvert au bouddhisme.
En revanche, avec William, on est entre les deux. C'est un militaire, attaché à l'ordre et à la hiérarchie et aux classes sociales, très conscient de son statut aristocratique et royal, qui ne s'entoure que de ses pairs.
D'un autre côté, le mariage avec une roturière, sa connaissance de l'Afrique et le fait qu'il ait beaucoup voyagé et n'a jamais mené une existence de jet-set, impliquent une certaine ouverture d'esprit. Mais le fait demeure : la monarchie a du mal à s'adapter à l'Angleterre multiculturelle.
Bébert : Pourtant, Prince William a suivi sa mère en essayant de donner une image plus moderne. Pensez-vous qu'un jour il fera en sorte que la monarchie britannique ressemble à la monarchie hollandaise, c'est-à-dire plus proche des gens ?
Jamais. William a hérité de Diana le souci des autres. C'est évident. Avec son frère Harry, il a créé sa propre association philanthropique qui œuvre en faveur des anciens délinquants, des enfants atteints du sida, etc.
Reste qu'il n'est pas du genre à se promener en bicyclette dans les rues de Londres. Il est conscient de son statut royal, et entend maintenir la monarchie au-dessus de la mêlée en lui conservant sa mystique.
Et Catherine Middleton devrait se mouler facilement dans cette philosophie visant à adopter un profil bas afin de maintenir cette image légendaire de la monarchie. Les étoiles ne se laissent pas saisir.
Antoine : La monarchie britannique constitue-t-elle une exception dans le monde ?
Indéniablement par rapport à Monaco, les Windsor sont dans une autre place. Ils le sont aussi par rapport à l'Espagne, pays plus ou moins de même taille. C'est dû en partie à la longévité – elle remonte à la nuit des temps –, à la grandeur passée de l'Angleterre, et au fait qu'elle reste garante de la démocratie.
A part Cromwell pendant quelques années, l'Angleterre a toujours connu une démocratie parlementaire, et la royauté, dans l'esprit de beaucoup de gens de par le monde, est liée à cette institution. En plus, il y a le Commonwealth.
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